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Monsieur Michel donne quelques indications à Denise, pour la prise de vue. Georges est en train de se mettre en forme. Les autres filles se désapent. J'ai encore un peu de temps devant moi et je regarde par la fenêtre. On voit la place Denfert-Rochereau, avec son gros lion éclaboussé de rouge. Ça date de 68. Ils n'ont jamais réussi à l'enlever complètement.
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Dans la cité, elle attend Lui, mais Lui ne vient pas. Alors, pour combler le vide, elle se donne en fragments, épisodes, éclats...
Thibault de Vivies poursuit ici son travail d'explorateur de la Cité, étrange et pourtant si familière, en se concentrant ici sur une femme, une voix, un récit, qui, alternant entre le grotesque et le sublime, nous offre une sorte d'En attendant Godot érotique et désespéré.
"Un peu plus tard, arpentant la plage, je reconnus cette façon de balancer les hanches en inclinant le buste. La grande blonde, en survêtement fuchsia, jouait au football avec des enfants. Cela me rassura. De chaque côté, deux maillots en boule dans le sable matérialisaient les cages. Elle évoluait dans l´équipe majoritairement féminine. Sous sa veste et son pantalon roulaient ses seins-melons, le fuselé de ses cuisses. Je l´imaginais déjà au vestiaire après un match, ruisselante de sueur, mes assauts de bouc honorant la magie de son pied gauche, l´intelligence de ses changements d´ailes, son sens du placement. Fruit de mon obsession pour le foot ?"
Sirène à six heures du matin. Ça continue. Dans ma tête les bruits, présents et passés, réels et imaginés, se confondent. Explosions, pluie. Pourtant il n´a pas plu depuis des mois, me souffle le ventilateur. Continuer à être, ce colibri qui s´affaire dans la lumière. Suivre. Survivre. [...] À quoi est dû l´aveuglement ? C´est la question que je me pose depuis que la sirène m´a réveillée en sursaut [...], après quatre heures de mauvais sommeil. Nous ne sommes même pas allés nous réfugier dans la pièce blindée car c´est là que dort notre fille. Nous n´avons pas voulu la réveiller. Nous sommes restés enlacés juste devant sa porte, ravalant nos larmes.
La sirène à la poubelle de Sabine Huynh, journal de Tel Aviv, Israël, de juillet à novembre 2014.
Texte et photos de l´auteur.
En 2001, lorsque j´ai publié ce roman, c´était une manière pour moi de tirer la sonnette d´alarme. Je voulais raconter la banlieue, plutôt que la stigmatiser, la caricaturer. Oui, la vie dans les quartiers, ça peut-être La Haine et la violence mais pas seulement... Surtout que pour ma génération (née dans les années 1960, 1970) ce fut surtout de la rigolade, du foot, de la disco, de la fraternité, de la solidarité, de la mixité : le fameux « vivre ensemble » dont on se gargarise aujourd´hui, c´était une réalité. Ce roman est devenu le livre-témoignage d´une période dorée, où la solidarité et la fraternité l´emportaient sur l´individualisme et la précarité.
Aujourd´hui, dix ans après le drame de Clichy-sous-bois et les « émeutes urbaines » qui ont suivi, les « quartiers sensibles » restent des pétaudières et la situation ne fait qu´empirer. Les livres ne changent pas le monde, j'en suis conscient, mais, comme le dit l'ami Colum Mc Cann, ils peuvent servir à réveiller, à défaut d'endiguer... l´injustice.
Guillaume Chérel
« Des heures interminables se sont écoulées. Je ne saurais dire combien. Les regards, dans ces quelques mètres carrés saturés d´angoisse, n´osaient pas se croiser, rebondissaient d´un mur à l´autre, se posaient sur les pieds, les mains, le néon blême au plafond. On ne voulait pas se voir, entre clandestins. »
"J´ai longé la plage. Je la voyais encore. Malgré 18 ans passés ici, j´arrivais à ne pas la zapper. La mer était calme, des touristes traînaient sur le sable, les surfeurs devaient attendre le déchaînement des vagues, les mouettes avaient disparu. Je suis remontée jusqu´à chez moi par des petites rues. J´étais née dans ce bled, je le connaissais sur le bout des doigts, je m´imaginais bien en train de me casser mais je n´avais aucune idée où je pourrais atterrir..."
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